Coup de cœur de la Librairie-boutique :
1. Le roman.
Dernier roman de Cormac McCarthy publié en 2006 et couronné d’un Pulitzer en 2007, La route est un ouvrage unique et férocement remarquable ; une sorte d’accord-parfait entre le récit, la structure et la plume.
Un père nommé « l’homme », un fils nommé « le petit ». Deux personnages errant, ou plutôt poursuivant un itinéraire indéfini : la route.
A la fois motif, métaphore, scénario de ce livre, la route est ce fil sur lequel ces deux personnages tentent de tenir ; la route comme un axe à suivre, un canal de survie.
Si le sujet nous fait d’abord faire franchement un pas en arrière : deux rescapés de fin du monde, non merci ! Très vite c’est le rythme et l’écriture qui nous prennent. Sur les pas de ce duo vagabond, nous aussi nous devenons les fugitifs d’un monde qui s’écroule. Nous suivons, le cœur palpitant, ces deux pauvres égarés qui portent en eux tout le malheur et l’espoir de ce monde ; monde qu’on ne (re)connaît pas d’ailleurs, qui pourrait être le nôtre, qui pourrait advenir. On ne peut plus les quitter ; on est pris dans leur quête qui nous semble pourtant perdue d’avance. Mais on y croit avec eux ; ils sont notre désespoir accompli (la fin du monde a visiblement déjà eu lieu) et notre quête encore possible (il y aura bien un après). Ce duo mystique (un père et son fils) embarqués sur cette route, décor aussi réconfortant qu’inquiétant, dans un environnement flou, opaque, indéfini, projetés là par un contexte mystérieux… Il n’en fallait pas plus pour que la parabole s’invite et que la vie se murmure entre les lignes. La route. Un roman qui ne se laisse pas oublier. Magistral.
2. La BD.
Petit pari quand même que d’apporter sa pâte à pareil ouvrage !
Parce que l’unité déjà accomplie par le roman de McCarthy n’appelait pas vraiment de « supplément d’âme ».
Et pourtant, d’une plume à l’autre, de McCarthy à Larcenet, le trait s’épaissit, l’image devient matière, prend davantage de papier ; l’univers se rassemble, s’observe…devient atmosphère, devient vision. L’image prend corps. Les sensations s’illustrent.
Des traits noirs soutenus par des fonds qui semblent comme de subtils lavis aux couleurs de chairs et de cendres… des gris, des bleus, des jaunes, des oranges et des roses, tous comme poudrés par la cendre environnante ; des sortes de légers filtres de couleurs pour habiller ou occulter les noirs de ce monde cataclysmique.
Par moment, l’image semble même disparaître.
Et puis ces contrastes, ces noirs et ces détails incroyables qui semblent aussi aiguisés et tranchants que le monde qu’ils dessinent. Des traits aussi fins que la rugosité de ce monde ; des fonds aussi couvrants que l’atmosphère viciée de ces paysages qui semblent avoir été carbonisés. Des vêtements striés comme des lambeaux de chair… une sorte de vêtement peau, parfois difficile à discerner… Une fin de monde au ciel de brume blanc et opaque. Une route sans perspective (pas de paysage au loin). Et ces hommes qui se fondent et se perdent dans cet environnement hostile ; comme pour mieux s’y réfugier, ils se mêlent aux décors qui les entourent… vraiment tout dans le vocabulaire plastique de Larcenet donne corps à ce roman.
Cette BD. Un petit « supplément de chair » en quelque sorte… Sublime.
1. Cormac McCarthy, La route. Édition illustrée par Manu Larcenet / 13.55 €
2. Manu Larcenet, La route. D’après le roman de Cormac McCarthy /29.50 €